Alors, le verre de boisson détox au sortir des agapes de fin d’année : à moitié vide ou à moitié plein ? Tandis que certains observateurs, un tantinet alarmistes, évoquent déjà une « gilet-jaunisation » de ce que serait le mouvement de rejet de la future réforme des retraites, l’inflation, qu’on imaginait à la hausse pour décembre, connaît finalement un ralentissement (selon les données provisoires de l’Insee publiées le 4 janvier dernier, à fin décembre 2022, la hausse des prix a atteint 5,9 % sur un an ; vs 5,6 % en septembre, puis 6,2 % en octobre et novembre)… Dans ce contexte, où l’on ne sait plus trop quoi penser, les projections de l’IPEA (sur l’atterrissage 2022 et l’année à venir), apportent un éclairage, si ce n’est rassérénant, en tout cas rationnel.
Entre hausses des prix, baisse du pouvoir d’achat, incertitudes économiques et anxiété sociale, l’année 2022 aura été difficile pour les ménages français. Ce n’est pas un scoop. Dans ces conditions, quels seront, clôturés au 31 décembre, les résultats du marché du meuble ? Quels produits auront encore su séduire les Français ? Quels circuits auront réussi à se démarquer ?… Les professionnels de la filière pourront trouver toutes les réponses à ces questions dans la prochaine édition du “Meubloscope”, l’indispensable “bible” éditée chaque année par l’IPEA (Institut de prospective et d’études de l’ameublement), qui sera disponible en mars prochain (plus d’infos). En attendant, à partir des éléments révélés par Christophe Gazel (directeur général) et Stéphane Larue (directeur des études) mi-décembre dernier, dans le cadre du colloque “Perspectives Meuble & Maison 2023” de l’Institut de la Maison, Meuble-Info vous livre ici les dernières projections de l’IPEA pour l’exercice 2022… et ses prévisions pour 2023 !
Après une année 2021 exceptionnelle, à l’issue de laquelle le marché du meuble avait réalisé un spectaculaire +14,3 %, franchissant pour la première fois la barre des quatorze milliards (14,55 milliards d’euros exactement), performance essentiellement due à un phénomène de rattrapage après une année 2020 en retrait (-4,8 %) pour cause de crise sanitaire (fermeture des magasins de produits “non essentiels”… dont le meuble faisait partie), l’IPEA voit d’ores et déjà 2022 comme « une année de retournement du marché », qui devrait s’achever sur une petite hausse, aux alentours de 1,7 %.
Force est de constater, en tout cas au regard des dix premiers mois de l’exercice (mais l’on sait aujourd’hui que les éléments contextuels préoccupants ont hélas largement perduré sur novembre et décembre), que l’année qui vient de s’achever sera largement moins prospère que 2021. Le principal phénomène de cette période étant un marché « fortement en avance sur 2019 », certes ; et qui progresse, certes ; mais qui progresse très modestement et, d’une part grâce à un mois d’avril de fort rattrapage (+89,3 % !) versus avril 2021 (nouvelles fermetures sanitaires) et d’autre part grâce à… la hausse des prix à la consommation ; avec un Insee qui, à fin octobre, évaluait cette inflation à +8,5 % vs octobre 2021 pour la seule famille “ameublement d’intérieur”. Or qui dit hausses de prix conséquentes, dit arbitrages drastiques des ménages et, dans pareil cas, l’ameublement est souvent considéré comme étant un achat aisément “reportable”… Ajoutez à cela un marché de l’immobilier préoccupant, avec des mises en chantier qui ne progressent pas, des ventes de logements neufs au plus bas au troisième trimestre et des déménagements dans l’ancien en recul, alors que les performances du marché du meuble demeurent largement en corrélation avec celle de l’immobilier : il y a des raisons de s’inquiéter.
En synthèse et par familles de produits, c’est le mobilier de jardin qui enregistrera la plus forte croissance sur l’année 2022, entre +5 % et +7 %. En deuxième position (par ordre décroissant de performances estimées) : le meuble meublant, en hausse de 2 % à 5 %. Une belle et presque surprenante performance pour ce segment, que l’IPEA explique – encore – en grande partie par un effet de rattrapage, les enseignes de la grande distribution, leaders sur le meublant (avec plus de la moitié du marché en valeur), ayant été celles qui, en 2021, ont le plus pâti des fermetures de magasins assujetties au nombre de mètres carrés. Les best-sellers dans ce contexte ? : le mobilier de bureau, la chambre et le mobilier de bébé. Après le meublant : les meubles de salle de bains, qui devraient terminer 2022 entre +1 % et +4 %.
Habitué aux premières marches du podium, le meuble de cuisine atterrira, lui, entre “seulement” 0 % et +3 %. Davantage chahutés encore seront le siège rembourré et la literie, que l’IPEA voit clore l’année 2022 sur des évolutions de -1 % à +1 % pour le premier et de -2 % à +1 % pour le second. « La literie a été un moteur du marché pendant 10 à 15 ans, constate ici l’IPEA, mais aujourd’hui les choses se tassent (…). Ce segment du marché du meuble devrait être effectivement en léger recul, ceci malgré des paniers moyens à la hausse en 2022 et qui le seront encore en 2023, notamment grâce au développement des literies de grandes tailles ».
Côté distribution, c’est la grande distribution ameublement (magasins du type Alinéa, But, Conforama, Ikea, Maisons du Monde, etc., selon la nomenclature IPEA) qui devrait terminer en tête cette année, avec une croissance comprise entre +5 % et +8 % vs 2021, suivie par les spécialistes (tous types de magasins spécialisés, tels les spécialistes cuisine, literie, salon, bains, etc.), avec un chiffre globalement étale par rapport à l’année dernière (de -1 % à +2 %). Les grandes surfaces de bricolage devraient quant à elles accuser un léger recul en ce qui concerne le mobilier : de -2 % à +1 %. Tandis que l’ameublement milieu/haut de gamme (magasins du type Mobilier de France, Monsieur Meuble, petits magasins de meubles généralistes, Ligne Roset, Roche Bobois, etc.) affichera une contre-performance comprise entre 0 et -3 % et que le e-commerce (toutes les enseignes “pure players” et “pure players” uniquement, vendant des meubles en ligne), accusera un repli compris entre -8 % et -11 %. Concernant ces “pure players” (sites des enseignes physiques non compris, donc), l’IPEA souligne qu’ils sont victimes à la fois d’historiques particulièrement défavorables (les ventes en ligne avaient été dopées par les fermetures sanitaires des magasins) et de la montée en compétence des acteurs physiques historiques en matière de ventes en ligne.
Quid de 2023 ?
Se risquant au petit “jeu” des pronostics et afin de permettre aux professionnels d’anticiper un tant soit peu ce nouvel exercice qui commence, les responsables de l’IPEA reconnaissent sans mal que nous n’abordons pas l’année 2023 dans les meilleures conditions… Et l’institut de lister un certain nombre d’obstacles :
– une inflation continue qui, d’une part, va inciter les ménages à renforcer leurs arbitrages et, d’autre part, pourrait obliger (énergie) industriels et distributeurs à augmenter leurs tarifs ; signalons ici que l’Insee anticipe un rebond de l’inflation pour ce début de l’année, lié, notamment, à la hausse prévue de 15 % des prix réglementés de l’énergie (ceux du gaz en janvier et ceux de l’électricité en février) ;
– un immobilier neuf en difficulté, avec des mises en chantier qui restent à des niveaux très (trop ?) bas ;
– un pouvoir d’achat sous tension, avec un Insee qui avance que celui-ci pourrait repartir à la hausse en 2023… mais un OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) beaucoup moins optimiste, qui annonce une régression de ce même pouvoir d’achat autour de 1,4 % ;
– un produit “meuble” « coincé » dans les arbitrages… après des scores anormalement exceptionnels au sortir des confinements ; et des données Insee qui stigmatisent des choix des ménages d’ores et déjà en défaveur de l’équipement de la maison ;
– une accélération des importations chinoises et asiatiques, qui vont dans le sens d’un retour du consommateur vers les prix bas, alors que ces deux dernières années avaient au contraire été synonymes de montée en gamme.
Mais le même IPEA relève aussi « quelques opportunités », au premier rang desquelles des transactions dans l’immobilier ancien « qui restent à un niveau élevé » et « des intentions d’achat qui se maintiennent ». Sur ce sujet, le dernier “Baromètre” mensuel de l’institut (la question étant “Quel(s) meuble(s) comptez-vous acheter durant les trois prochains mois ?”) donne le canapé en tête des intentions d’achat (11,8 % des ménages), suivi par le rangement (étagère, bibliothèque, pour 9,9 %) et la literie (sommier, matelas, pour 9,7 %)…
Partant du principe que les évènements hautement perturbateurs et anxiogènes à l’œuvre courant 2022… vont se poursuivre en 2023 (au premier rang desquels la guerre en Ukraine) et bien qu’un “Institut de prospective et d’études” ne soit pas un cabinet de voyance, l’IPEA avance les prévisions suivantes :
– Cuisine : -5 %. L’IPEA estime notamment que “l’effet Covid”, qui a incité une clientèle CSP– a investir dans sa cuisine plus rapidement qu’elle ne l’aurait fait en temps “normal”, est bel et bien révolu, quelles que soient les animations du marché par les promotions dans les mois à venir… Une carte à jouer pour ce secteur cependant : aller chercher les séniors propriétaires de maisons individuelles, encore équipés, pour un grand nombre d’entre eux (des études le prouvent), de cuisines en chêne style “chapeau de gendarme” !
– Literie : -2 %. Sur un segment de plus en plus bataillé, l’institut estime que la distribution, engagée dans une logique de maillage accru du territoire, va chercher à multiplier les ouvertures, ce qui pourrait passer par des évolutions majeures de concepts, voire des création de nouvelles enseignes…
– Meublant : -6 %.
– Rembourré : -6 % également. Sur le meublant et le rembourré, l’IPEA craint à la fois un consommateur qui se met en mode “pause” et une baisse violente de la valeur sur ces segments, phénomène dont il voit déjà les prémices dans le retour des importations, dopé, notamment, par la baisse du prix des conteneurs et celle des coûts de l’énergie en Asie et aux Etats-Unis.
– Jardin : -4 %.
– Salle de bains : -2 %.
Une seule certitude : en 2023, sur un marché global du meuble que l’IPEA voit clore l’exercice autour de -5 %, le principal enjeu des douze prochains mois sera le trafic, le trafic et encore le trafic ! Autrement dit : les distributeurs qui s’en sortiront le mieux seront ceux qui sauront le plus faire venir du monde dans les magasins ! Avec peut-être, comme principal axe de communication pour ce faire, d’inciter le consommateur à investir dans l’aménagement d’un habitat “refuge”, synonyme de confort, de bien-être et de sécurité… Et si la bonne surprise de 2023 était, en lieu et place d’arbitrages drastiques en défaveur du meuble, un retour au “cocooning” des années 80 ?