Le commerce, aujourd’hui “unifié”, aurait achevé la révolution industrielle de l’Internet. Désormais, alors que le “offline” se digitalise, tandis que le “online” lui, tend à s’humaniser, l’une des pistes d’optimisation les plus prometteuses, pour les marques et les enseignes, résiderait dans la très à la mode intelligence artificielle, outil inédit d’une forme d’individualisation de masse de la relation client. Avec, plus que jamais au cœur des enjeux : une nouvelle forme de proximité avec le consommateur. Prospective.
Avec l’accélération probable des impacts liés à ce qu’il est très en vogue de qualifier ces derniers temps de nouvelle “révolution industrielle” – celle de l’intelligence artificielle (IA) –, le commerce de demain, d’ici une décennie, ne sera évidemment pas celui de 2023-2024. Cette conviction est au cœur du 10e rapport de tendances “Innovate Service Centric”, proposé depuis 2013 par L’Echangeur BNP Paribas Personal Finance (centre d’innovation technologique et marketing appliquée au commerce de détail), dont les principales réflexions et analyses ont été présentées à la presse fin décembre dernier par Elisabeth Menant (“Innovation Trends Manager” au sein de l’Échangeur) et Matthieu Jolly (“Innovation & Service Manager, au sein du même Échangeur). Objectif officiel : « Identifier et analyser les tendances émergentes du commerce, pour partager, avec les marques et les enseignes de tous secteurs d’activité, une vision claire des enjeux de la consommation de demain, afin de les accompagner, en toute neutralité, dans leur transformation. » Synthèse.
Premier constat, aux allures de lapalissade : le commerce a radicalement changé. La révolution industrielle Internet est désormais derrière nous. L’innovation vise surtout, désormais, à optimiser les parcours d’achat, tout en veillant à les rendre plus rentables. La prochaine étape pour la décennie à venir, sur fond d’impératif écologique ? L’IA, qui pourrait relancer la machine et constituer un levier de croissance forte de nouveaux points de contacts, de nouvelles plates-formes d’audience, comme les services de streaming ou les réseaux sociaux, futurs concurrents des points de vente physiques et du e-commerce. Avec une problématique sous-jacente clé pour les marques : comment garder le contrôle de leur relation client, pour assurer leur avenir ?
Cette 10e édition du rapport de tendances “Innovate Service Centric” a choisi de mettre en lumière cinq axes majeurs de transformation pour les prochaines années.
Premier axe : la courbe de croissance du e-commerce s’est infléchie et suit dorénavant celle du commerce physique ; ils forment désormais un tout inséparable ; le “offline” se digitalise, alors que le “online” lui, s’humanise, chacun cherchant à prendre le meilleur de son concurrent.
Aujourd’hui, 5,16 milliards d’individus utilisent Internet, soit 68 % de la population mondiale (étude “Digital Report 2023” publiée par We Are Social et Meltwater). En croissance de 1,9 % en un an, cette pénétration connaît un net ralentissement comparée aux années précédentes. À titre d’exemple, en 2013, le taux de croissance était de 10,3 %, pour une pénétration de 35 %. Internet s’est structuré au fil des ans et les dernières années montrent qu’il atteint un palier. Par conséquent, l’innovation ralentit et se fait plus marginale. Du point de vue du consommateur, “online” et “offline” ne font donc plus qu’un. Au cours des dernières années, nombre d’enseignes ont d’ailleurs fusionné le meilleur du e-commerce avec leurs points de vente physiques.
Alors que beaucoup d’observateurs parlent de digital en cette période post-pandémique, l’humain reste et restera clé pour le commerce. Les échanges interpersonnels sont effectivement au cœur de la relation nouée entre une marque, une enseigne et le consommateur. Pourtant, cette relation n’est plus l’apanage du point de vente physique. La preuve ? La multiplication des solutions de chat, de visio, de conseils à distance…
Deuxième axe : touchées directement par une baisse de leur activité, les marques et les enseignes reviennent à l’un des basiques du commerce, la rentabilité !
Alors que l’inflation s’est installée pour durer, pour beaucoup d’enseignes européennes, l’augmentation des prix fait plus que compenser les pertes de volumes. Cependant, les défauts de paiement restent élevés, ce qui obligent les marques à revenir à un basique du commerce : pour survivre, il faut être rentable. L’exemple le plus flagrant concerne la chute du “Quick Commerce” (la promesse d’une livraison effectuée dans un délai très court, par l’intermédiaire d’une application mobile), pourtant en plein essor en 2021, à grand renfort de levées de fonds. Après avoir souhaité conquérir le monde, les acteurs se recentrent tous sur leur marché d’origine, à la recherche d’un modèle économique rentable, alors que les financements “gratuits” se raréfient.
Derrière cette logique de recherche de rentabilité, les “business models” évoluent, notamment sous l’impulsion d’une réglementation toujours plus contraignante (on pense ici au virage pris récemment par Netflix, en mettant fin au partage de comptes). Par ailleurs, face à l’inflation, le consommateur cherche à réduire sa facture, en achetant au moins cher ; et pour l’attirer, les enseignes se mettent à la promotion, voire même au “low cost” (qu’on avait un temps jugé presque dépassé !). La popularité de l’économie circulaire continue également de croître. Enfin pour minimiser leur impact sur la planète, certaines enseignes (notamment dans le prêt-à-porter), font le pari de la précommande, la production n’étant lancée qu’une fois le nombre minimal de pièces atteint ; en contrepartie, le consommateur bénéficie d’un prix accessible, « car consommer de manière responsable ne doit pas être un luxe ».
Troisième axe : l’intelligence artificielle, “buzzword” du moment !
« De nouvelles pistes d’optimisation apparaissent avec le déploiement toujours plus important et rapide de l’IA, nous dit-on. Grâce à elle, l’innovation redémarre. De nouveaux services deviennent possibles, permettant ainsi aux enseignes et marques de prendre des parts de marché. Si la révolution industrielle Internet a créé une masse considérable de datas, celle de l’IA va permettre de l’exploiter sur le fond et la forme, ouvrant une ère nouvelle pour le commerce : celle de l’individualisation ». En effet, si l’IA prédictive permet d’analyser les transactions passées pour anticiper les comportements futurs, l’IA générative (capable de traiter du langage naturel, mais aussi d’en générer) permet de créer une offre personnalisée susceptible d’être envoyée au consommateur. Pour l’entreprise, le principal avantage de l’IA est donc le suivant : proposer en temps réel au consommateur une offre parfaitement individualisée. À chaque consommateur son offre, tant sur la forme que sur le fond. Tout au long de son parcours d’achat, l’intelligence artificielle fluidifie et personnalise son expérience. L’effort d’adoption est minime. LA question étant : si un chatbot est d’ores et déjà capable de proposer une liste de courses alimentaires (et les recettes afférentes !), que le consommateur peut choisir d’acheter s’un simple clic, cette « praticité augmentée » pourra-t-elle, à terme, s’appliquer à tous les produits ?
Quatrième axe : la désintermédiation de la relation client, là encore grâce – ou à cause de – l’IA.
L’intelligence artificielle se diffuse dans tous les points de relation client, qu’ils soient historiques (comme le magasin, le site internet, l’application) ou nouveaux (tels les réseaux sociaux, les plates-formes de streaming et les assistants vocaux numériques). L’IA générative va ainsi s’insérer dans de nombreux points de contact et notamment le streaming. Amazon Prime, Netflix, Roku ou encore Disney+, toutes ces plates-formes d’audience intègrent la technologie et, ce faisant, évoluent progressivement pour devenir… des sites marchands. Mais ces plates-formes ne sont pas les seules à posséder l’or noir du XXIe siècle qu’est l’audience : les réseaux sociaux également. 59 % de la population mondiale passe en moyenne deux heures et trente-et-une minutes dessus tous les jours. « Pour les marques, estime Elisabeth Menant, les enjeux sont considérables. Les réseaux sociaux, les nouveaux points de contact ou les débuts encourageants du Web3 (Blockchain, NFT, Metavers…), risquent de briser le lien unique qu’elles ont mis des années à construire avec leurs clients. Pour réussir à prendre ces virages tout en restant maîtres de cette relation, la confiance doit être de mise : fédérer une audience autour d’une marque unique, incomparable et incomparée, tout en anticipant les impacts de la crise écologique, environnementale et sociétale à venir ».
Cinquième et dernier axe : l’émergence de nouveaux modèles, abonnement et “gamification” en tête.
Les marges de la distribution et le modèle qui structure actuellement le commerce vont continuer de se réduire, affirment les auteurs du rapport “Innovate Service Centric”. À cause d’un contexte géopolitique tendu, il sera toujours plus cher et coûteux d’acheter et d’acheminer en Europe des articles produits dans les usines asiatiques. Dans le même temps, le consommateur européen souhaitera toujours payer moins cher. Ainsi, « parce qu’il est vertueux pour tous les acteurs de la chaîne de valeur, du producteur au consommateur, l’abonnement va progressivement s’imposer comme le modèle dominant du commerce », pronostiquent les mêmes auteurs. La “gamification” émerge également (stratégie marketing consistant à intégrer des mécaniques de jeux dans l’acte d’achat), pour inciter à changer les comportements en valorisant et en récompensant les consommateurs.
« C’est en accompagnant au quotidien l’acheteur, que les marques et enseignes résisteront aux mutations en cours, conclut Matthieu Jolly. S’engager, accompagner les changements de société, lutter contre les bouleversements écologiques, sont autant d’actes concrets pour construire une relation durable et rentable avec le client. Avec l’intelligence artificielle, nous entrons dans l’ère de l’individualisation de masse de la relation client ».