Le défi des enseignes en 2023 : faire face à la baisse des volumes et à la forte augmentation des coûts
« Il faut enfin se rendre compte qu’une enseigne n’est qu’une consolidation de dizaines ou de centaines de points de vente, qui sont de petites exploitations, avec des niveaux de marge et de rentabilité faibles, prévient Emmanuel Le Roch, délégué général de Procos. Dans le commerce de détail, il n’y a pas que les TPE qui sont fragilisées ».
Le 8 février dernier, Procos, “Fédération pour la promotion du commerce spécialisé”, a tenu sa traditionnelle conférence de presse de début d’année, consacrée au bilan de l’exercice écoulé, à l’activité du mois de janvier 2023 et aux perspectives & enjeux de l’année qui commence.
Concernant 2022 (pourtant première année depuis 2019 à bénéficier de magasins enfin ouverts en permanence !), la fédération dresse un bilan « mitigé », avec « une année qui se termine mieux qu’elle n’a commencé, malgré l’inflation et les inquiétudes croissantes sur le pouvoir d’achat ». Plus précisément, dans un contexte inédit, marqué par plusieurs événements majeurs ayant beaucoup impacté la consommation (guerre en Ukraine, crise énergétique, retour de l’inflation), mais avec des mesures gouvernementales (notamment le bouclier énergétique pour le carburant), qui ont permis de limiter l’inflation et de maintenir un niveau de consommation dynamique, le mois d’octobre a été un tournant dans l’année, car l’importante hausse des prix des produits alimentaires a fortement impacté le pouvoir d’achat et la consommation des ménages. Au final, « l’activité des enseignes du commerce spécialisé en 2022 suit la forme d’une courbe, qui s’améliore au fil des mois, en se rapprochant progressivement, en moyenne, des activités de 2019 », résume Procos. Dans le détail, la fin d’année a été nettement meilleure que le début, après un mauvais mois de janvier (-11,7 % vs janvier 2019). L’été fut très médiocre, inférieur à 2019, mais l’activité s’est améliorée à partir de la rentrée, pour se terminer sur un bon mois de décembre (+10,4 % vs décembre 2019). « Pour le commerce spécialisé, précise la fédération, le très faible accroissement des ventes magasins des enseignes en octobre et novembre (+1,5 %) cache en fait une baisse des volumes vendus, puisque, dans le même temps, les prix des produits ont augmenté de 3 % à 5 % par rapport à la même période en 2022… Les problèmes de pouvoir d’achat touchent les ventes des enseignes non-alimentaires et le “Black Friday” n’a pas généré une forte activité (achats retardés en toute fin d’année, en décembre). Les Français ont finalement décidé, malgré les difficultés, de se faire plaisir pour les fêtes ». En cumul magasins + web, les ventes du commerce spécialisé ont augmenté de 12,2 % en 2022 par rapport à 2021 pour l’ensemble du commerce spécialisé, mais avec de fortes différences sectorielles.
Notons que, si la consommation a été en hausse en 2022 (+2,7 %) selon l’INSEE, les Français ont préféré partir en voyage, en week-end, aller au restaurant, retourner au cinéma ; en d’autres termes : privilégier les activités dont ils ont été privés pendant deux ans. Notons également le maintien d’une croissance forte de certaines activités numériques (vidéo, jeux vidéo…). Mais pour bien appréhender les choses, il est toujours indispensable de se référer à 2019. Et là, souligne Procos, « certains secteurs ont une activité magasins supérieure à l’avant Covid, tels que l’alimentaire spécialisé et l’équipement de la maison ; une situation créée dès la fin du premier confinement ».
2022 a été également marquée par le retour à une certaine normalité pour les ventes internet. Si les ventes de services (billets d’avion, train…) ont explosé, pour les enseignes, les ventes de produits sur le web ont baissé (-12 % en moyenne), sauf dans certaines activités, comme la beauté/santé.
Quid du premier mois de 2023 ? Les ventes magasins de janvier dernier sont supérieures de +11,5 % par rapport à janvier 2022, mais doivent être interprétées en tenant compte d’un très mauvais chiffre en janvier 2022 (-11,7 % vs janvier 2019), qui avait été très impacté par les mesures Covid encore en place (télétravail “obligatoire”). Cette croissance ne fait que compenser les mauvais chiffres de janvier 2022, sans tenir compte des hausses de prix intervenues en 2022. Finalement, avec une hausse de 4 % des prix consommateurs, les volumes vendus en janvier sont en baisse d’environ 4 % par rapport à janvier 2019. « L’équipement de la maison réalise un mois médiocre, à +4,2 % par rapport à 2022, souligne la fédération, ce qui signifie des baisses importantes de volumes vendus ». Augmentation du chiffre d’affaires, mais baisse des volumes vendus : le phénomène risque fort de se prolonger ces prochains mois…
Plus globalement, en termes de perspectives, les experts de Procos estiment surtout que les enseignes du commerce spécialisé vont, en 2023, devoir faire face à « un redoutable effet ciseaux, entre baisse des volumes de ventes et fortes augmentations des coûts » (énergie, loyers, transports, coûts salariaux…). Et de lister, un poil alarmistes, un certain nombre de difficultés et autres incertitudes : une baisse continue du trafic en magasin ; des augmentations de prix de vente au consommateur fortement limitées par les problèmes de pouvoir d’achat ; des endettements de crise qu’il faut rembourser (PGE) ; toujours plus de réglementations telles que celles de la loi Agec, etc. Autant de phénomènes qui, selon eux, « écrasent le volume de marge, dégradent les trésoreries et la rentabilité des entreprises, mettant en danger les investissements ».
« Il faut enfin se rendre compte qu’une enseigne n’est qu’une consolidation de dizaines ou de centaines de points de vente, qui sont de petites exploitations, avec des niveaux de marge et de rentabilité faibles, prévient Emmanuel Le Roch, délégué général de Procos. Dans le commerce de détail, il n’y a pas que les TPE qui sont fragilisées. Avec les difficultés récentes d’enseignes, souhaitons que la prise de conscience sera maintenant totale ». Face à une situation qu’il juge plus que jamais préoccupante, avec une année 2023 qui risque fort de cumuler moult paramètres défavorables, « jamais la mise en place d’une politique publique du commerce n’a été aussi urgente et impérative, estime-t-il. Il n’est plus possible d’attendre. Il faut à la fois stopper l’hémorragie, éviter une décommercialisation suite à la multiplication de fermetures de points de vente, les défaillances de réseaux et la vacance commerciale ».