Prospective : et si, après l’omnicanal, l’IA entraînait le commerce vers “l’omniverse” ?
Entre autres révolutions, les experts de l’Echangeur BNP Paribas Personal Finance estiment que le magasin se transforme en média à part entière. « Les prémices d’un commerce mêlant mondes virtuels et réels commencent à émerger, affirment-ils. Le magasin devient une passerelle pour le commerce omniverse ». Dans ce cadre, le point de vente va devoir, selon eux, appréhender les codes du gaming et des métavers, tout en gardant à l’esprit une logique d’efficience. Il va donc continuer sa transformation, se rapprocher des sites e-commerce dans son fonctionnement, pour, par la suite, basculer vers les mondes immersifs. Vraiment ?
Le monde du retail, à l’instar de beaucoup d’autres secteurs, investit énormément dans l’intelligence artificielle (IA), essentiellement pour optimiser l’ensemble de ses “process”, comme la logistique, l’encaissement, le merchandising, ou encore l’expérience et la relation client. Ainsi, de nouvelles formes d’IA, dites “créatives” ou “génératives” (telles le déjà célèbre agent conversationnel “ChatGPT”), « commencent à redéfinir notre manière de consommer et de faire du commerce ». C’est en tous cas ce qu’affirment les experts de l’Echangeur BNP Paribas Personal Finance, qui ajoutent : « Aujourd’hui, ces écosystèmes technologiques (Internet des objets, blockchain, métavers, Web 3, IA générative) sont en train de dessiner les fondements d’un commerce omniverse… » Fin avril, deux de ces experts (Guillaume Rio, responsable tendances technologiques & prospectives de l’Echangeur et Nicolas Diacono, responsable technologie & innovation de l’Echangeur), à l’occasion d’une visioconférence diffusée dans le cadre de son célèbre rapport de tendances sur les innovations technologiques susceptibles d’impacter le monde du commerce et de la consommation (“Commerce Reloaded”), ont apporté une lecture prospective de l’usage de ces nouvelles technologies dans le commerce de demain. Meuble-Info vous en livre une synthèse ci-après.
Également connu sous le nom de « web des données » ou de « web sémantique », le Web3 est la troisième génération du “World Wide Web”. Il s’agit d’une évolution du web, qui permet une meilleure interconnexion des données sur Internet et une plus grande intelligence des applications en ligne… Autour du Web3, les initiatives des marques et enseignes se multiplient. Sur le “Top 100” des plus grandes marques mondiales, 43 ont lancé des initiatives Web3 en 2022. Ces initiatives ont généré plus de 100 millions de dollars de chiffres d’affaires par la vente de NFTs (“non-fungible token”), des jetons non fongibles (créés et échangés sur une blockchain), qui représentent un objet, auquel est rattachée une identité numérique. La puissance communautaire est essentielle dans le succès des projets liés au Web3. Ce qu’a très bien compris un acteur comme Nike, avec l’acquisition du studio RTFKT (en décembre 2021), grâce à laquelle la marque a pu accéder à une communauté puissante du Web3, lui permettant de se construire rapidement une légitimité dans cet écosystème. Pour Benoît Pagotto, cofondateur de RTFKT, les marques doivent arrêter de parler de consommateur, un terme à abolir dans le Web3 : il ne s’agit plus de vendre un produit ou un service à un client, mais de faire en sorte qu’il devienne un membre de la communauté et donc de la marque ou du produit ; la marque et la communauté ne font plus qu’un dans cet écosystème. La vente de NFTs brandés Nike a ainsi généré plus de 185 millions de dollars de revenus complémentaires. « Avec le Web3, les marques et enseignes deviennent plus que jamais des médias, nous dit-on. Elles doivent avoir la capacité de déployer le bon “storytelling”, nécessaire à la création de la communauté. C’est le premier lien entre la marque et son audience ».
Dans le cadre de cette course au “storytelling”, de nombreuses marques se sont associées à des collections de NFTs pour bénéficier de leurs contenus, de leurs codes, de leur histoire, mais aussi de leur communauté. Ces partenariats permettent de rendre légitimes les marques traditionnelles dans le monde du Web3, mais aussi de les crédibiliser auprès du grand public. De leur côté, les marques NFTs deviennent alors crédibles et peuvent s’installer dans l’économie traditionnelle ! « Il y a fort à parier que certaines d’entre elles deviendront dans les années à venir des acteurs du commerce, plus particulièrement dans l’univers de la mode », prédisent les experts de l’Echangeur BNP Paribas Personal Finance.
Deuxième phénomène identifié par ces mêmes experts : le commerce embarqué, ou « in-vehicle commerce ».Selon une étude de McKinsey, près de 95 % des nouvelles automobiles vendues dans le monde seront connectées d’ici 2030, contre environ 50 % actuellement. Désormais, la mobilité se conçoit de manière « multimodale et connectée », faisant du software le vecteur d’une profonde transformation du monde de l’automobile vers celui du serviciel. Et dans ce contexte, le commerce embarqué est en train d’émerger. 600 millions de véhicules connectés devraient ainsi générer 537 milliards de dollars de transactions d’ici à 2030. En particulier, la valeur des paiements à bord des véhicules devrait atteindre 1 milliard de dollars en 2023, contre moins de 100 millions de dollars en 2020. Aujourd’hui, les constructeurs automobiles accélèrent le développement des services de paiement à bord des véhicules, afin de tirer parti de l’émergence du commerce embarqué.
Troisième phénomène : le commerce “omniverse”. « La compression temporelle va impacter la consommation de demain », poursuivent les experts. Cette notion vient d’une étude de l’université de Californie, qui a mesuré que les joueurs de jeux vidéo en réalité virtuelle avaient une perte de la notion du temps. Globalement, pour ces personnes, le temps passe plus vite en réalité virtuelle qu’en réalité “vraie”, avec une différence évaluée à +28,5 % par rapport à la réalité ! Or selon le cabinet Gartner, d’ici 2026, chaque individu devrait passer 25 % de son temps dans des écosystèmes virtuels immersifs ou “métavers”, que ce soit pour se former, étudier, socialiser, se divertir ou… consommer. En croisant les données de compression temporelle et la montée en puissance du métavers, il se pourrait que le consommateur de demain se trouve rapidement dans une « impasse de consommation temporelle ». Le temps alloué à sa consommation pourrait être amené à diminuer, ce qui va valider d’autant plus l’idée de “commerce ambiant”, présagée par l’Echangeur depuis plusieurs années déjà (concept fondé sur une économie d’interface, au sein de laquelle le commerce se développe via la captation massive de données au fil d’une “conversation” continue entre ses protagonistes) et dont l’avènement se trouve largement dopé par l’impact croissant de l’intelligence artificielle dans le quotidien des consommateurs : reconnaissance vocale, frigo intelligent (“Family Hub” de Samsung), social commerce… « Concernant le magasin physique, il est devenu un hub pour la collecte de données, à l’instar d’un site Internet, avancent même les experts de l’Echangeur. Pour les marques, il s’agit de pouvoir déterminer quels produits vendre, comment vendre plus, comment attirer l’attention des consommateurs, comment générer du trafic dans le magasin physique. En parallèle de cette quête de l’efficience, le digital média semble reprendre la main sur l’expérience client. (…) Le magasin se transforme en média à part entière, tout comme dans les rues new-yorkaises ou parisiennes. Les prémices d’un commerce mêlant mondes virtuels et réels commencent ainsi à émerger. Le magasin devient une passerelle pour le commerce omniverse ». Et de conclure : « Celui-ci devra appréhender les codes du gaming et des métavers, tout en gardant à l’esprit une logique d’efficience. Lors de cette décennie, il va continuer sa transformation, se rapprocher des sites e-commerce dans son fonctionnement, pour, par la suite, basculer vers les mondes immersifs. Toutefois, le magasin de 2040 devra permettre aux consommateurs de se reconnecter au réel et de créer des liens sociaux : il sera ainsi le hub des multiples dimensions de la consommation et du divertissement. »
Quatrième et dernier phénomène : l’IA générative et le champ des possibles ouvert par ses avancées. Depuis novembre 2022, une déferlante médiatique entoure l’intelligence génératrice “ChatGPT”, premier produit du laboratoire privé américain OpenAI. Mais d’autres intelligences artificielles telles que “Midjourney”, “Stable Diffusion” ou “Dall-E”, permettent à n’importe qui de créer des images uniques et hyperréalistes, soit sur la base d’une image, soit en tapant simplement quelques mots dans une zone de texte… « Ces nouvelles IA génératives, au fil du temps, sont capables de dessiner de nouveaux produits, mais également des centres commerciaux ou encore des concept stores en intégrant la charte des contraintes de fabrication », soulignent les experts. Outre la marque chinoise de “fast fashion” Shein (qui utilise déjà l’IA pour anticiper les tendances), ou encore l’enseigne française Carrefour (qui a récemment produit une vidéo réalisée avec ChatGPT, répondant, via un avatar, aux question les plus courantes des clients), les mêmes experts soulignent par ailleurs : que « les marketplaces se sont empressées d’étudier la manière dont elles pouvaient intégrer ChatGPT dans leurs offres » ; que récemment, le PDG d’Amazon a indiqué que son entreprise travaillait depuis longtemps sur un outil de type ChatGPT ; et que la plate-forme de commerce Shopify enfin, a récemment dévoilé des outils d’IA, en partenariat avec OpenAI, pour aider les vendeurs et les commerçants à rédiger des descriptions de produits… « Les caractéristiques de l’IA générative deviendront courantes dans les prochaines années, mais il y en aura encore d’autres qui dépassent aujourd’hui notre champ de vision, conclut Guillaume Rio. Il est donc important de rester vigilant quant aux avancées de l’IA, pour ne pas manquer les opportunités qui s’offrent à nous ».