Dans le contexte socio-économique du moment, l’on s’attendait à voir les Européens jouer sur les leviers de l’épargne et de la consommation. Or tel n’est pas vraiment le cas : en moyenne générale, les intentions d’épargner des Européens sont en baisse de 3 points, tandis que celles de consommer sont sujettes à un élan contraire, en hausse de 5 points. Ce n’est pas le moins intéressant des enseignements du dernier “Baromètre Observatoire Cetelem”…
À peine un an après le début de la pandémie du Covid-19, les Européens donnaient des signes de résilience, en affichant un regain d’optimisme. Mais le retour brutal de l’inflation (du jamais vu depuis près de 40 ans), dopée par la guerre en Ukraine, est venu couper net cet élan positif. Les Européens doivent désormais apprendre à vivre avec des hausses de prix à deux chiffres. Les difficultés d’approvisionnement en matières premières, gaz ou électricité, ont en outre fait resurgir dans le débat économique le mot « pénurie », qui en avait été exclu depuis longtemps. Enfin la croissance mondiale est passée de 6 % en 2021 à 3,2 % en 2022 ; et elle devrait être de 2,7 % en 2023. Il s’agit du profil de croissance le plus morose depuis la crise financière mondiale de 2008-2009 et le pic lié au Covid-19…
Voilà en quelques mots le constat opéré par les experts du “Baromètre Observatoire Cetelem” (étude réalisée par Harris Interactive, du 3 au 16 novembre 2022, dans 15 pays d’Europe, auprès de 14 200 personnes âgées de 18 à 75 ans, issues d’échantillons nationaux représentatifs de chaque pays), qui analyse la perception et la réaction des Européens face aux crises actuelles et plus particulièrement face à l’inflation et aux pénuries anticipées. Mais ces mêmes experts ne se contentent pas de prendre acte de la morosité ambiante : ils nous livrent aussi un certain nombre d’indicateurs clés, afin de mesurer et de comprendre, autant que faire se peut, comment les Européens apprennent à vivre avec les crises et appréhendent l’année à venir. Synthèse.
Les Européens sont pessimistes concernant la situation de leur pays et leur moral est miné par un contexte politico-économique difficile. Ainsi, la note, sur une échelle de 1 à 10, pour décrire la situation de leur pays et celle concernant leur situation personnelle, s’inscrivent toutes les deux à la baisse. À respectivement 4,9 points (-0,5 pt vs 2022) et 5,8 points (-0,4 pt vs 2022), elles retrouvent leur niveau de début de crise du Covid-19. Les Français établissent la perception de la situation de leur pays à 5 points (-0,4 pt vs 2022) et la confiance envers leur situation personnelle reste relativement élevée, à 6 points (-0,3 pts).
Pour 9 Européens sur 10, la hausse des prix est une réalité constatée. Sept sur 10 estiment même que les prix ont nettement augmenté ces douze derniers mois. Un ressenti partagé par l’ensemble des pays de l’étude. La France, avec le Royaume-Uni, a le ressenti le plus faible sur la hausse des prix : ils sont 60 % à exprimer ce sentiment, soit 10 points en dessous de la moyenne… sans doute en raison d’un taux d’inflation bien inférieur (7,1 % en France ; 9,6 % au Royaume-Uni) à celui de la zone euro (11,5 %), dû en grande partie aux boucliers tarifaires mis en place par les gouvernements. « Au niveau des variables socio-démographiques, souligne le Baromètre, force est de constater que le ressenti sur la hausse des prix est plus vif chez les femmes que chez les hommes (respectivement 75 % et 65 %, soit 10 points d’écart), également chez les personnes de plus de 50 ans (78 % vs 60 % des 18-24 ans, soit 18 points d’écart) et, contre toute attente, bien que moins marqué, chez les personnes aux revenus élevés (72 % vs 69 % chez ceux ayant de faibles revenus) ».
“Effet miroir” par rapport à l’inflation, le sentiment d’une baisse sensible du pouvoir d’achat augmente dans une même proportion, traçant deux courbes d’évolution quasi parallèles. Plus d’un Européen sur 2 (54 %) estiment que son pouvoir d’achat a baissé au cours des douze derniers mois ; un résultat en augmentation de 19 points en moyenne par rapport à l’an dernier. Effet d’un pouvoir d’achat aujourd’hui tendu, les intentions d’épargne (51 %) reculent en moyenne de 0,3 point par rapport à 2022, avec seulement 1/3 des quinze pays sondés affichant une volonté d’épargner en hausse : Allemagne (59 %, +7 points), Autriche (61 %, +2 points), Roumanie (65 %, +2 points), Pologne (57 %, +1 point) et Slovaquie (27 %, +1 point). Dans sept pays, la volonté d’épargner est en baisse, avec des reculs proches de 10 points, comme en Espagne (49 %, -9 points), en Italie (42 %, -9 points), en Suède (60 %, -9 points) et au Royaume-Uni (55 %, -8 points). « Dans ces pays, résume le Baromètre, l’heure n’est plus à la constitution d’un bas de laine, mais plutôt à faire face à une progression spectaculaire des prix alimentaires, comme en Espagne, ou à l’augmentation astronomique des factures d’énergie, tel au Royaume-Uni ».
L’envie de dépenser reste globalement stable (51 %, -1 point), avec néanmoins une augmentation significative (+3 points) de personnes (un Européen sur 4) qui n’ont ni l’envie, ni les moyens de dépenser… Les résultats de l’étude mettent en exergue une consommation contrainte, où les dépenses portent sur ce qui est nécessaire et indispensable à la vie quotidienne, quand bien même les prix augmentent. « Le niveau réel de consommation, annonce le Baromètre, après une année de rebond post-Covid en 2022 (+3,3 % au niveau européen), stagnera en 2023 (0,1 %) sous cet effet de contrainte ». Avant de relever ce qui ressemble fort à une mauvais nouvelle : « Si tous les domaines de la consommation, ou presque, subissent le spleen européen, les secteurs de l’équipement de la maison y sont les plus exposés. Le temps n’est plus au cocooning contraint, lorsque la crise sanitaire générait des envies de refaire son intérieur, de se mettre définitivement à la cuisine ou au sport d’intérieur. Électroménager, meuble, TV/Hi-fi, aménagement/rénovation et équipements sportifs, sont en recul de 5 points ou presque. »
Trois Européens sur 4 anticipent au moins une situation de privation dans leur pays dans les mois à venir, principalement en énergie (électricité, gaz, essence). C’est d’ailleurs en France (87 %) et au Royaume-Uni (83 %) que les craintes sont les plus fortes. 58 % des Européens, dont 63 % des Français, redoutent d’être confrontés à une coupure d’électricité ; et 6 Européens sur 10, dont 55 % des Français, de ne pas pouvoir payer leur facture d’électricité. Mais l’énergie n’est pas le seul secteur auquel les Européens associent le mot “pénurie” : le domaine de l’alimentation est tout autant concerné. 55 % des Européens, dont 59 % des Français, déclarent qu’ils pensent être confrontés à une pénurie de produits alimentaires dans les prochains mois. Néanmoins, cette anticipation de pénurie sur les produits alimentaires n’est pas forcément corrélée à l’inflation sur ce même type de produits.
« En 2022, avec une inflation au plus haut depuis 40 ans, les Européens ont vu leur pouvoir d’achat reculer dans pratiquement tous les pays, impactant directement leur moral, lui aussi orienté à la baisse, conclut Flavien Neuvy, directeur de l’Observatoire Cetelem. Pour 2023, la crainte des pénuries est très présente. Les Européens, conscients de vivre une succession de crises et dans un contexte toujours aussi anxiogène, s’adaptent : les intentions d’épargne sont orientées à la baisse et les intentions de consommer sont stables. La croissance européenne, qui repose beaucoup sur la consommation des ménages, devrait résister malgré une inflation toujours forte ».