Christophe Gavaudan (UCEM) : « Nous vivons une période anxiogène, mais tout est sous contrôle. »

Alors que le marché de l’ameublement traverse une période de tension économique et d’incertitude durable, la coopérative UCEM (réseaux Monsieur Meuble, Meublena, Maison Crozatier et Expert Litier) poursuit sa route avec méthode et confiance. Son président, Christophe Gavaudan, revient sur la transformation digitale du groupe, les dynamiques propres à chacune des enseignes et la stratégie de développement menée pour préparer l’avenir. Entretien.
Meuble-Info : Comment décririez-vous le contexte actuel pour l’UCEM et ses enseignes ?
Christophe Gavaudan : Tout le monde le constate : nous traversons une période particulièrement anxiogène. Les événements économiques, politiques ou géopolitiques se succèdent et il serait inutile d’en dresser la liste. Mais pour autant, je ne suis pas alarmiste. Ici, au sein de l’UCEM, à notre niveau, je considère que tout est sous contrôle.
Comme évoqué à l’instant, il existe des facteurs extérieurs sur lesquels nous n’avons pas de prise. Mais il en est d’autres que nous maîtrisons parfaitement. Notre responsabilité, c’est de bien faire notre métier.
Le commerce reste exigeant, certes, mais nous tenons le cap. Aujourd’hui, nos indicateurs sont sains : sur les neuf premiers mois de l’année, les ventes sont globalement stables par rapport à N-1. Certes, le trafic en magasin recule (d’environ 10 %), mais le panier moyen progresse, ce qui compense cette baisse de fréquentation. Résultat : nous devrions terminer l’année légèrement dans le vert. C’est la preuve que nos enseignes résistent bien, malgré un environnement tendu.
En juin dernier, à l’occasion du congrès annuel du groupement, vous aviez annoncé une digitalisation massive de l’UCEM. Où en êtes-vous aujourd’hui ?
– Nous sommes effectivement en train d’achever un chantier majeur : la digitalisation complète de nos outils, du catalogue à la prise de commande. Comme je l’avais annoncé lors du congrès de Barcelone, le 8 octobre dernier a marqué une étape symbolique : c’était le lancement officiel de notre dispositif (élaboré avec la société Cosika et son logiciel de conception 3D “Boost Ta Trybu”), à savoir le catalogue Web 2D, le configurateur et l’ensemble des services digitaux associés. Concrètement, comme promis, cela signifie que nous pouvons désormais fonctionner en mode “zéro papier”.
Cette digitalisation repose sur un socle essentiel : l’embasement produit. C’est un travail titanesque, souvent sous-estimé. Derrière chaque table, chaque canapé, chaque commode, il y a des centaines de données à renseigner : matériaux, dimensions, fonctions, finitions… Tout cela doit être saisi de manière exhaustive pour que le digital soit réellement efficace. Ce chantier a mobilisé les équipes pendant de longs mois.
Pour piloter cette transformation de façon rigoureuse, nous avons d’ailleurs créé un poste dédié et recruté Anne-Sophie Sousa, responsable des projets digitaux de l’UCEM. C’était indispensable. Aujourd’hui, grâce à son travail et à celui du service achats, l’outil est abouti et pleinement opérationnel.

Concrètement, quels sont désormais les outils mis à disposition des magasins Monsieur Meuble ?
– L’ensemble du dispositif est accessible sur tous les supports : ordinateurs, tablettes, etc.
Le configurateur Boost Ta Trybu est déjà en place dans les magasins, mais son usage n’est pas obligatoire. Demain, il deviendra le seul et unique moteur central de tout le système et alimentera directement notre ERP Ecolix.
Les avantages pour nos adhérents s’avèrent considérable : un vendeur notamment, même jeune et récemment formé, peut disposer sur tablette de l’intégralité de la collection et travailler efficacement avec son client. C’est la clé pour attirer de nouveaux profils et faciliter la vente assistée.
Où en êtes-vous de la nouvelle version du site internet “monsieur-meuble.com”, dont les prémices avaient été présentées au réseau lors du showroom de l’enseigne, en mai dernier ?
– Ce nouveau site sortira en novembre prochain. Il sera directement alimenté par l’embasement produit dont je parlais tout à l’heure et notre outil Boost Ta Trybu. Notre volonté consiste à proposer une navigation immersive, proche de l’expérience e-commerce, mais sans pour autant activer la vente en ligne dans l’immédiat. Ce site permettra notamment de configurer les produits, consulter les dimensions, enregistrer un projet, puis le transférer vers le magasin de son choix.
Pour ce faire nous y avons intégré une dimension d’intelligence de recherche : un client pourra par exemple saisir “bleu” dans le moteur et accéder à l’ensemble des produits de cette couleur. L’objectif est d’offrir une expérience fluide, moderne et interactive, au service du réseau physique.
Votre dispositif digital concerne d’abord Monsieur Meuble…
– Oui, ce projet a été déployé prioritairement pour Monsieur Meuble, qui reste la “locomotive” de notre coopérative. Non seulement le digital est aujourd’hui totalement intégré à son modèle, mais encore cette révolution a-t-elle des conséquences en matière de développement. Je m’explique.
En termes de développement, tandis que la bannière flotte aujourd’hui sur 87 unités, l’année 2025 a déjà connu cinq ouvertures : Sainte-Geneviève-des-Bois (91), Metz/Jouy-aux-Arches (57), Perpignan/Pollestres (66), Annemasse/Ville-la-Grand (74) et Strasbourg/Vendenheim (67). Deux nouveaux projets sont en outre d’ores et déjà signés pour le premier trimestre 2026 et cinq autres sont très avancés. Mais une évolution importante concerne les formats de magasins. Jusqu’à récemment, nous n’ouvrions pas en dessous de 800 m2 à 1 200 m2. Or aujourd’hui, nous lançons des magasins de 500 m2, notamment à Metz, avec d’excellents résultats au moment où je vous parle. La pression foncière nous y pousse (une évolution structurelle du retail que nous devons prendre en compte avec réalisme), mais cela est surtout rendu désormais possible grâce au digital : autant l’on ne peut exposer qu’un extrait de collection sur une telle surface, autant avec les outils digitaux que je viens de décrire, il s’avère tout à fait possible de vendre efficacement sans présenter la collection complète.
Cette adaptation change-t-elle le modèle économique des magasins ?
– Pas sur le fond. Le cœur de notre modèle reste l’acte de vente assistée. Un vendeur réalise en moyenne 25 à 30 ventes par mois. Le volume des ventes est donc relativement stable ; c’est le panier moyen qui fait la différence, et nous nous efforçons de le faire évoluer d’année en année. C’est ce qui attire de nouveaux adhérents : un modèle rentable, appuyé sur une collection bien calibrée et des outils performants. Le digital vient renforcer cette promesse.

Où en est l’enseigne Crozatier ?
– Crozatier est en train d’écrire un nouveau chapitre de son histoire sous le blason “Maison Crozatier”. Ce positionnement et la refonte du concept magasin afférent (quatre nouveaux univers de collections aux côtés d’un corner “Natuzzi Editions” exclusif), clarifie notre proposition et renforce la valeur perçue. Sur 17 points de vente sous enseigne, 9 ont d’ores et déjà adopté ce nouveau concept.
Ce rebranding a eu un effet immédiat : nous recevons désormais des appels entrants d’indépendants intéressés par le concept, parfois en format shop-in-shop, parfois en magasin complet. L’appellation “Maison Crozatier” parle d’elle-même : il s’agit d’un univers premium, identifiable, porteur de sens.
Que pouvez-vous nous dire des bannières Meublena et Expert Litier ?
– L’enseigne Meublena (15 magasins à ce jour), poursuit son activité dans la continuité. Elle conserve une clientèle fidèle et un positionnement complémentaire au sein du portefeuille de l’UCEM.
Quant à Expert Litier (35 unités), elle affiche une dynamique très forte, ce qui est un vrai motif de satisfaction. Expert Litier, faut-il le rappeler, est en effet une enseigne récente, née il y a trois ans ; or elle affiche une croissance à deux chiffres sur le parc existant. Pour certains magasins, cela représente une hausse de 30 % à 50 % du chiffre d’affaires.
Cette réussite tient à la cohérence de l’offre (nous travaillons avec trois fournisseurs principaux, ce qui garantit une collection lisible et qualitative), ainsi qu’à une gestion rigoureuse, menée par Christophe Patard.
La part de la literie dans le chiffre d’affaires des magasins UCEM ayant adopté le concept Expert Litier est passée de 12/15 % jusqu’alors à 20/25 %. C’est considérable ; et cela valide l’objectif qui était à l’origine même de la création de cette enseigne : retrouver nos parts de marché historiques sur le segment literie qui, par le passé, avait été un socle essentiel de nos performances.

Vous avez récemment fait évoluer votre organisation. Pouvez-vous nous en dire plus ?
– Oui. Nous accueillons Pierrick Choquet en tant que directeur commercial de l’UCEM. Il nous a rejoints le 13 octobre dernier, après avoir occupé cette fonction chez Greencorp & Bedsom (groupe P3G). Son expérience et sa connaissance fine du marché seront des atouts précieux pour accompagner la croissance de nos réseaux.
Comment envisagez-vous la suite dans un environnement aussi incertain ?
– Honnêtement, il est difficile de se projeter à long terme. Nous vivons au jour le jour, comme beaucoup d’acteurs du commerce. Mais malgré la complexité du contexte, je garde confiance.
Notre priorité reste double : accélérer sur le digital et poursuivre le développement du réseau. Pour le reste, nous gardons la tête froide. Dans un monde saturé de mauvaises nouvelles, il faut savoir rester équilibré. J’aime dire que “tout est sous contrôle”. Parce que ce que nous pouvons faire, nous le faisons bien et c’est déjà beaucoup.
(Photo d’ouverture : le magasin de Sainte-Geneviève-des-Bois, qui réunit pour la première fois trois des quatre enseignes du groupement, à savoir Monsieur Meuble, Maison Crozatier et Expert Litier.)